Gabriel Lévy
La loi du 2 février 2007 a défini le cadre juridique des actions extérieures des collectivités territoriales,
appelées « coopération décentralisée ». Mais les bons sentiments sont souvent pervertis et ce « Sésame » a ouvert la boite de Pandore.
1- La loi
· Elle a pour
but d’assurer la sécurité juridique des collectivités territoriales lorsqu’elles interviennent dans des pays étrangers, à l’occasion de catastrophes naturelles ou en
raison de l’état d’impuissance économique d’un pays. En effet, avant le vote de cette loi, de nombreux recours avaient été formés contre ces interventions, tous avec succès, en se fondant
sur leur absence « d’intérêt public local ».
Codifiée dans l’article L.1115-1 du code général des collectivités territoriales, la loi stipule que : « les
collectivités territoriales et leur groupement peuvent, dans le respect des engagements internationaux de la France, conclure des conventions avec des autorités locales
étrangères pour mener des actions de coopération ou d'aide au développement…
En outre, si l'urgence le justifie, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou
financer des actions à caractère humanitaire ».
· Toutefois,
« l’action extérieure des collectivités territoriales, continue d’être régulièrement contestée » (1), alors que le nombre de leurs interventions ne cesse de croitre.
Selon le bilan établi en juin 2009 par le délégué pour l’action extérieure des collectivités territoriales, les 26 régions, plus des ¾ des départements et la quasi-totalité des grandes villes et
des communautés urbaines étaient impliquées dans des projets de coopération internationale (2).
· Nous ne
savons pas, pour le moment :
a) à combien
s’élèvent les sommes réellement dépensées à cet effet, étant précisé qu’elles sont sans limite puisque, lors de la discussion parlementaire, le rapporteur avait
refusé les amendements visant à plafonner les dépenses à un pourcentage du budget d’investissement de la collectivité. Les chiffres (délivrés par le ministère : 70 millions d’euros en 2009
pour les collectivités locales, et de 4,2 millions pour le cofinancement de l’état) paraissent sous-estimés et ils ne rendent pas compte de la totalité de l’effort consacré à ces actions.
« Au total, 4754 collectivités territoriales françaises (régions, départements, communes et structures intercommunales) mènent des projets de coopération à
l'international totalisant près de 12000 projets dans 139 pays ». Or, chacun des projets est au moins de 50.000 € par an. Ainsi, la communauté d’agglomérations
d’Aubagne vient-elle de consacrer 127.000 €, pour un seul projet à réaliser sur 3 ans, par une association Malienne de solidarité ;
b) le pourcentage
respectif de partenariats selon qu’ils s’exercent dans les pays de l’OCDE ou dans ceux des autres continents. Le ministère reconnait la difficulté de fournir des résultats exacts
en raison de recoupements (2) ;
c) les formes de la
coopération selon qu’il s’agit de participation financière uniquement, de participation à la maîtrise d’œuvre ou d’ouvrage par des délégués de la collectivité dispensatrice des fonds, ou
enfin par le canal d’une association siégeant dans le pays bénéficiaire ;
d) le nombre et
l’importance des subventions, accordées comme telles, c’est-à-dire en l’absence de convention, à des réseaux dits de coopération décentralisée (conseil général de la
Seine-Saint-Denis, délibération du 25 juin 2009 : 20.000 € de « subvention exceptionnelle (sic) au Réseau de Coopération Décentralisée pour la
Palestine »)
· Nous
remarquons qu’en 2007, la majorité parlementaire de droite n’a pas hésité à offrir, à des collectivités territoriales dirigées par leurs compétiteurs, des compétences en matière de
politique étrangère dont elles étaient constitutionnellement privées.
Dès lors, le Sésame offert, la boîte de Pandore est ouverte, puisque selon certain (3) : « dorénavant,
l’intérêt local doit être présumé ».
2- Les premiers
jugements.
· Compte tenu du
caractère récent de la loi, nous disposons à ce jour :
1°) d’un jugement du tribunal administratif de Marseille (4) annulant une subvention accordée à Gaza sur
le fondement de l’urgence telle qu’elle est définie par le second alinéa de l’article 1115-1 (voir supra) ;
2°) de trois arrêts de cours d’appel administrative (site LégiFrance) :
a) CAA Lyon, 16 février 2010, n° 08LY02082, rejetant le recours des requérants pour des raisons de
forme ;
b) CAA Lyon, 12 avril 2010, n° 08LY00246 qui porte sur deux recours distincts. Il annule une première
délibération pour « défaut de convention avec la région de Rabat Salé », et confirme la seconde, une convention de la région Rhône-Alpes avec la région de Taomasina
(Madagascar) dont la « subvention vise au développement des échanges économiques entre les deux régions ; que dès lors, l'objet
de la délibération contestée présente un caractère d'intérêt régional».
c) CAA Paris, 01 décembre 2009, n°08PA04754, retenant certes la justification de l’existence d’une
convention préalable, mais n’éliminant pas expressément la nécessité de rechercher un intérêt public local. [cf commentaires in 5].
Cette restriction n’a pas échappé aux commentateurs de ce dernier arrêt : « Si la
décision de la Cour administrative d’appel reconnaît que les subventions aux projets de solidarité internationale sont légales et constituent un dispositif à part entière, elle appelle
quand même les collectivités territoriales à aménager ce dispositif pour lui donner un caractère d’intérêt public local ». (6)
· En
définitive, la justice administrative paraît hésitante. Soit l’intérêt local est présumé dès lors qu’il existe une convention, soit il est nécessaire que la convention satisfasse
« quelque peu » à un « intérêt public local ». Le législateur, qui a conçu cette loi au moment des catastrophes naturelles (Tsunami, Katrina), n’avait probablement pas pris la
mesure de l’usage, ou de l’abus, qui en seraient faits, laissant le soin au juge de le faire.
3- Des points en
suspens :
1- La coopération est un acte de
participation : la collectivité apporte une contribution au développement économique et culturel d’une nation moins développée. Ainsi admis, cette coopération fournit soit une aide
financière, soit une aide en personnel de tous ordres, soit les deux. Mais, si elle se limite à un financement, il ne s’agit de rien d’autre que d’une subvention et cette aide
doit être analysée comme telle.
Or, s’il n’existe pas de critères légaux pour justifier l’attribution des subventions, la justice administrative retient
toujours leur « intérêt public local », c’est-à-dire : l’intérêt public, l’impartialité et l’intérêt direct pour la population résidante.
2- A l’évidence, c’est sur le
critère de l’irrespect de l’impartialité que le tribunal administratif de Marseille a annulé une délibération fournissant une aide à la population civile d’un seul
belligérant dans un conflit armé (7). Le législateur, en ne limitant pas l’octroi de l’aide humanitaire d’urgence aux seules victimes de catastrophes naturelles, ne paraît pas avoir prévu qu’en
cas de guerre, les collectivités auraient des difficultés à se départir d’un engagement partisan, et à ne pas enfreindre la neutralité politique.
3- S’agissant « de
conventions avec des autorités locales étrangères » selon l’article L.1115-1 du CGCT, le caractère des associations,
intermédiaires, recevant des subventions ou des aides, faute d’avoir été précisé par le législateur, a été laissé également à
l’appréciation du juge.
Ainsi, la cour administrative d’appel de Paris (op cit) a cherché à vérifier si l’association bénéficiaire revêtait
« un caractère public régional » (siège social, lieu de résidence des bénévoles, objet de l’association), mais surtout elle a approfondi l’objet social et retenu l’engagement de
l’association à promouvoir « en Ile de France l’accès aux énergies propres en participant à des salons et à mener des actions pédagogiques dans les établissements
d’enseignement ».
Par ailleurs, le CAA de Versailles (arrêt n°05VE00412, du 31 mai 2007) retenait que « même si une association
poursuit un but humanitaire, elle doit pour bénéficier de subventions publiques, être exclusive de tout caractère politique ».
Il y a donc loin de la notion selon laquelle, en présence d’une convention, l’intérêt local est
présumé.
4-
Quelles sont les moyens de contestation des contribuables ?
Les collectivités territoriales ont souhaité élargir le champ de leurs compétences à des actions de bénévolat
au profit de pays en voie de développement. Les instruments dont elles disposent désormais sont la coopération et l’aide humanitaire d’urgence.
Dans le cas de la coopération décentralisée. Si une jurisprudence, au demeurant très limitée, « reconnaît que les subventions aux projets de solidarité internationale sont légales et constituent un dispositif à part
entière, elle appelle quand même les collectivités territoriales à aménager ce dispositif pour lui donner un caractère d’intérêt public local » (6). Les contribuables
s’attacheront à vérifier ce point, ainsi qu’à s’assurer, le cas échéant, de la pertinence de l’objet social et de réalité de la neutralité politique des associations bénéficiaires de ces
fonds publics.
Dans le cas de l’aide humanitaire d’urgence, le législateur aurait été sage de restreindre cet usage aux victimes de catastrophes naturelles. Dans le cas d’actes de guerre entre deux belligérants parfaitement identifiés,
une collectivité ne pourra qu’aider de façon équivalente les victimes des deux camps, l’aide humanitaire ne pouvant être « l’occasion de prendre position dans un conflit de
nature politique » (TA Marseille). Le législateur a laissé au juge le pouvoir d’appréciation, et aux contribuables la possibilité de requérir.
En outre, les contribuables (et les élus de l’opposition) devront exiger la
connaissance des informations afférentes à ces coopérations, car :
· ces actions sont souvent mises en œuvre en fonction des options politiques des exécutifs des collectivités territoriales : pourquoi tel pays est-il privilégié par rapport à
tel autre ?,
· elles servent parfois à permettre des déplacements touristiques (8),
· il est rare qu’un rapport, relatant l’utilisation exacte des fonds, soit communiqué aux élus des collectivités bienfaitrices,
· le nombre de réunions, de colloques, de déplacements, d’intervenants et d’intermédiaires, évidemment désintéressés, est si important que seul un faible pourcentage des sommes
parvient au but poursuivi (9). Il importe de le connaître. Chaque sou dépensé par la collectivité doit être justifié.
EN BREF
Les contribuables, et leurs associations, ne paraissent pas dépourvus de la possibilité de
recourir contre des délibérations fondées sur l’article L. 1115-1 du CGCT, soit en recherchant un « retour sur investissement » à l’action de coopération, soit une volonté
partisane ou politique.
Références et commentaires
1- X. Barella : « la
coopération décentralisée à la recherche d’une sécurité juridique renforcée ». AJDA, 2008, p 1580 et s .
2- Site France Diplomatie.
3- Gérard Terrien, conseiller
maître à la cour des comptes : « Quel soutien des collectivités territoriales aux associations de solidarité nationale ? La Semaine Juridique. Administrations et
Collectivités territoriales, n°35, 30 août 2010, p 43-45.
4- TA Marseille, 27 avril 2010,
n°0902358.Association de l’intercommunalité d’Aubagne/ commune de la Penne sur Huveaune.
5- [Le TA de Paris 10 juillet
2008, a tenu compte pour annuler une délibération de l’absence d’un « intérêt public régional ». La cour administrative d’appel annule cette décision, mais elle retient que
« l’association subventionnée s’est engagée, dans le cadre conventionnel à promouvoir « en Ile de France l’accès à des énergies propres en participant à différents
salons » et à mener des actions pédagogiques auprès des lycéens et étudiants de la région , afin de contribuer à sensibiliser la population francilienne aux enjeux des politiques de
développement durable »].
6- Site CENTRAIDER : Note technique, Coopération décentralisée, 26 janvier 2010.
7- Christian Baillon-Passe, Maître
de conférences associé, université Paul Cézanne, Aix-en-Provence : « Une action humanitaire décidée par une commune ne doit pas être liée à un engagement de nature
politique ». La Semaine Juridique. Administrations et Collectivités territoriales, n° 35, 30 août 2010, p 46-48.
8- Charles-Henri d’Andigné. Le
mensuel « le Cri du Contribuable » n°89, octobre 2010, p 14-17.
9- Jean-Louis Guigou, délégué
général de l’institut de la prospective économique du monde méditerranéen. Assemblée Nationale, Rapport d’information n° 449, Construire l’Union Méditerranéenne, décembre 2007, page
77.